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Comment l’Oukaïmeden participe à la grande aventure interstellaire

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octobre 14, 2019

REPORTAGE

Par Badra BERRISSOULE | Edition N°:5613

De l’Observatoire, des chercheurs ont détecté la présence de cyanogène dans l’atmosphère de la comète 2I/BorissovUne découverte inédite pour mieux comprendre l’évolution des autres systèmes planétairesUn Observatoire qui joue dans la cour des grands, mais sans moyens de subsistance

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Un seul gardien surveille l’Observatoire de l’Oukaïmeden, mis à disposition par le CNRST, payé par le centre de recherche. Son rôle est plutôt de surveiller la station sismique qui se trouve sur le même site, mais il garde aussi un œil sur l’Observatoire (Ph. OUCA)

Juché dans les montagnes de l’Atlas, à une altitude de 2.750 mètres, un autre site suscite un grand intérêt, non des skieurs, mais celui des chercheurs. Nous sommes ici à l’Observatoire astronomique universitaire de l’Oukaïmeden (OUCA), dépendant de l’Université Cadi Ayyad.PUBLICITÉinRead invented by Teads

Un petit plateau où se dressent des coupoles modernes et robotisées, une salle de conférences et un séjour pour les physiciens, astrophysiciens et astronomes amateurs, un équipement très modeste par rapport aux grands observatoires européens et américains (cf. L’Economiste n°4033 du 17/05/2013).

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A l’origine, l’Observatoire créé en 2003 disposait de peu de moyens et porté par un passionné Zouhair Benkhaldoun. Cadi Ayyad donne son aval en 2000 pour la mise en place du laboratoire (LPHEA) et ensuite en 2003 pour l’adoption du projet de l’Observatoire et le financement des premiers équipements. Les chercheurs démarrent avec un petit télescope de 16 pouces (Ph. OUCA)

L’Ouca est pourtant très actif et vient de participer tout récemment à une aventure interstellaire. Depuis l’Observatoire, une équipe de scientifiques composée de chercheurs des universités de Liège et de Cadi Ayyad, dont  Youssef Moulane, doctorant au sein du Laboratoire de physique des hautes énergies et astrophysique (LPHEA), ont surveillé la comète pendant plusieurs jours à l’aide du télescope robotique Trappist-Nord  installé à l’Oukaïmeden.

Ils ont participé ainsi à une découverte historique qui a permis de détecter des molécules de gaz dans la comète, 2I/Borissov (voir encadré). «Ce n’est pas une molécule nouvelle. Elle a déjà été détectée sur d’autres comètes, mais là, c’est une observation. C’est la première fois que l’on observe des molécules en provenance de l’extérieur du système solaire véhiculé par un objet cométaire», souligne Zouhair Benkhaldoun, astrophysicien et professeur à l’université Cadi Ayyad et fondateur de l’Ouca.

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L’Observatoire dispose aujourd’hui de 5 instruments: un Mead de 16 pouces, financé par l’université, un Moos de 50 cm de diamètre, un OWL de 50 cm de diamètre, un Trappist de 60 cm de diamètre et une lunette dédiée à l’observation de la lune

Cette découverte constitue un important pas en avant, explique l’astrophysicien, car elle va permettre aux scientifiques de commencer à déchiffrer de quoi sont faites ces molécules. De nouvelles informations qui permettront de mieux comprendre la formation et l’évolution des autres systèmes planétaires de notre galaxie, et également de faire des comparaisons avec notre propre système solaire, ajoute-t-il.

Conscients de l’importance de cette découverte, les scientifiques de l’Ouca et du monde entier continueront de suivre cette comète -car elle est de mieux en mieux visible- pour essayer de détecter d’autres molécules et déterminer leurs rapports d’abondances et de les comparer à ce qu’on observe dans le système solaire.

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 Le télescope Trappist-Nord, exploité conjointement par l’université Cadi Ayyad et l’université de Liège en Belgique, a ainsi permis de fournir des données cruciales pour mesurer la quantité de poussière de comète émise par 2I

A noter que la comète 2I/Borissov se rapproche du Soleil et devrait briller de plus en plus jusqu’en janvier 2020. La distance la plus proche de cette étoile, à quelque 300 millions de kilomètres du Soleil, et autant de la Terre est prévue le 7 décembre prochain. Les équipes de scientifiques de l’Observatoire ne sont pas à leur première participation dans une aussi grande aventure.

Ces chercheurs ont participé avec la Nasa en 2017 à la découverte du système exoplanétaire, composé de 7 planètes, dont trois pourraient être habitables, situées à 40 années lumière de la Terre, et par suite à la grande découverte avec la Nasa d’un «astéroïde binaire potentiellement dangereux». Bien avant, l’Observatoire s’est distingué par ses découvertes de comètes et d’astéroïdes géocroiseurs (4 comètes et 6 géocroiseurs à ce jour), grâce à son télescope Moss, classé 7e au monde en termes de quantité de données envoyées au MinorPlanet Center. 

«Nous avons atteint le maximum possible de rendement et il est vraiment temps de doter l’Observatoire de ressources financières et humaines, qui pourront nous aider à aller encore plus loin», souligne Benkhaldoun. La grande aventure  pour l’Ouca démarre en 1987, au retour au bercail de Zouhair Benkhaldoun et de 3 autres astronomes, universitaires à Sophia-Antipolis (Nice), pour développer l’astronomie au Maroc.

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C’est  l’amateur urkrainien Guennadi Borissov, constructeur de télescope, qui a découvert, le 30 août dernier, la comète, et qui l’a rebaptisée 2I/Borissov par l’Union astronomique internationale. Il a donné l’alarme au réseau de surveillance sur des astéroïdes potentiellement dangereux (Ph. OUCA)

L’université Cadi Ayyad donne son aval en 2000 pour la mise en place du Laboratoire (LPHEA) et ensuite en 2003 pour l’adoption du projet de l’Observatoire et le financement des premiers équipements. Grâce à la coopération internationale, les chercheurs réussissent à en avoir d’autres (5 autres télescopes) pour un investissement global estimé à 20 millions de DH, «un presque rien pour des équipements en astronomie».

Malgré cela, l’Observatoire de l’Oukaïmeden réussit à se placer dans les radars internationaux avec ses participations aux découvertes mondiales. Aujourd’hui, les chercheurs aspirent à un autre tournant pour ce site: d’abord, l’acquisition d’un  télescope de 2 mètres de diamètre.

Pour cela, il faudra, outre l’investissement initial, 20 millions de DH pour acquérir l’instrument, disposer sur place des ingénieurs et des techniciens pour le fonctionnement et l’entretien. C’est-à-dire des postes budgétaires pour pousser plus la recherche dans l’astronomie observationnelle.

«Au Maroc, on a classifié les domaines prioritaires pour la recherche, ce qui est déjà une ineptie en soi et l’accent est plutôt mis sur l’agroalimentaire, les énergies renouvelables…, «ils ont juste oublié les thématiques fondamentales, déplorent les chercheurs en astrophysique.

Et c’est ainsi que pour l’heure, l’Ouca est un projet sans moyens, sans poste budgétaire même pour un gardien. Seules la passion et la foi d’une poignée de chercheurs continuent à le faire fonctionner. Pour avancer, il faudra probablement sortir cet outil de l’université et lui donner un statut particulier, recommande Benkhaldoun.

Chasseur de comète

Découverte par l’astronome amateur Gennady Borisov, le 30 août dernier, et qui lui a donné son nom, la comète, rebaptisée 2I/Borisov par l’Union astronomique internationale, se présente sous l’aspect d’une faible comète, entourée d’une atmosphère et d’une courte queue, possède en effet une orbite très particulière. Celle-ci indique, selon les chercheurs, qu’elle provient d’un autre système planétaire que le nôtre, et traverse actuellement notre système à grande vitesse sans être liée gravitationnellement au Soleil. Gennady Borisov est un ukranien, un chasseur de comète. Il a déniché sa première comète (C/2013 N4) en juillet 2013 à l’occasion d’une star party avec d’autres observateurs en Crimée en utilisant un télescope de 20 cm de diamètre et une caméra CCD. Il a depuis découvert plusieurs comètes. Cet ingénieur en optique travaille au Sternberg Astronomical Institute (université de Moscow) et est aussi un fabriquant de télescope. Alors qu’il utilisait son dernier télescope, un instrument de 65 cm de diamètre, il repère sur son écran un astre qui se déplace dans une direction légèrement différente des autres astéroïdes et envoie un message d’alerte   au réseau de surveillance astéroïdes potentiellement dangereux. La même journée, les différents télescopes professionnels confirment l’origine interstellaire de cette comète.

Badra BERRISSOULE

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