Un discours articulé sur les échéances électorales à venir dans deux semaines. Le roi Mohammed VI n’appelle pas seulement les gens à voter, mais à bien voter, de même qu’il exhorte les partis à soigneusement choisir leurs candidats et aux futurs élus à mieux remplir leurs fonctions. Mais le discours montre également que le péril terroriste n’est pas seulement une vue de l’esprit, que le Maroc n’est pas à l’abri de cette menace et que la sécurité de chacun relève de la responsabilité de tous.
Un cours de politique
Pour les élections, Mohammed VI a livré un discours très pédagogique, expliquant dans le détail et par l’exemple les différences entre les institutions élues et exposant les prérogatives des différents corps élus, communes, régions et parlement. « Le ministre de l’énergie, par exemple, n’est pas responsable de l’éclairage des quartiers, du raccordement des foyers aux réseaux électriques, des branchements de l’eau potable, ni de l’assainissement. De même, la propreté des rues et des quartiers n’est pas du ressort du ministre de l’Intérieur. Dans le même ordre d’idée, ce n’est pas au ministre de l’Equipement et du Transport de veiller à la réfection des voiries dans les communes, ni de fournir les moyens de transport urbain. Le citoyen doit savoir que les responsables de ces services administratifs et sociaux dont il a besoin dans sa vie quotidienne, ce sont précisément les élus pour lesquels il a voté dans la commune et la Région en vue d’assurer la gestion de ses affaires locales. Contrairement à ce que pensent certains, l’élu parlementaire n’a rien à voir avec la gestion des affaires locales des citoyens. Il est plutôt responsable de la proposition, de la discussion et du vote des lois, ainsi que du contrôle de l’action du gouvernement et de l’évaluation des politiques publiques ».
Constat du désintérêt des électeurs
Mais le roi revient sur une réalité universelle, l’abstention. Au Maroc, ce refus des électeurs d’aller aux urnes est pour ainsi dire une nature. Le roi a son explication : « Si nombre de citoyens ne s’intéressent pas beaucoup aux élections, et s’ils n’y participent pas, c’est parce que certains élus ne remplissent pas leur devoir comme il se doit (…).Il y a des élus qui s’imaginent que leur rôle se limite à se porter candidats et non à travailler. Et lorsqu’ils remportent les suffrages, ils s’éclipsent pour cinq ou six ans, et ne réapparaissent qu’à l’occasion du scrutin suivant ». Ô combien vrai…
Aussi, la solution passe par le fait que « les élections ne devraient pas avoir pour objectif d’obtenir des postes, mais elles devraient être dédiées au seul service du citoyen ». Après le constat, la solution… mais si cette solution n’est pas appliquée, la loi est là, ou devrait être là.
Pourquoi les choses sont-elles ainsi ?
Parce que le code électoral est, finalement, mal adapté aux exigences de la fonction élective. Il y a trop de partis, trop de circonscriptions électorales et les partis ne peuvent toutes les couvrir. Alors ils recrutent massivement, privilégiant la quantité à la qualité.
Pour les communales à venir, 27.000 circonscriptions sont prévues. Il n’existe aujourd’hui aucun parti capable d’assurer un candidat, de valeur, pour chacune de ces circonscriptions. La solution aurait été de réduire ce nombre en élargissant les communes.
Par ailleurs, et Mohammed VI l’a bien précisé, les partis doivent mettre en avant des candidats sérieux avec des programmes de bon aloi et surtout réalistes. Mais ce n’est là qu’une indication ; les choses auraient été meilleures si le vœu royal avait été inscrit dans le marbre de la loi.
Et puis, au niveau même des partis politiques nationaux, le sérieux, le réalisme et la qualité ne sont pas les vertus premières des directions. Les « élites » politiques sont elles-mêmes discutables, à tous les échelons.
Quand le citoyen entend, par exemple, le chef du gouvernement dire pis que pendre de ses adversaires et les accuser de pratiques mafieuses et d’enrichissement illicite, et quand il constate que ces graves accusations ne sont pas suivies d‘enquêtes judiciaires, il est en droit de se poser des questions sur la crédibilité de l’opération dans son ensemble.
Quand le citoyen entend un chef de l’opposition accuser le chef du gouvernement d’intelligence avec des groupes terroristes et que la justice n’entend ni l’un ni l’autre, on peut comprendre son rejet pour la politique en particulier et pour les politiques en général.
Quand des législateurs à la Chambre des conseillers sont condamnés par la justice et continuent de siéger, et quand des partis présentent en tête de liste des candidats déjà condamnés ou en voie de l’être, cela nuit au sérieux d’une élection, et conduit au désintérêt des électeurs.
Aussi, le relèvement du taux de participation passe bien plus par une activation de la justice que par l’appel à l’esprit citoyen des électeurs.
La sécurité
Elle passe, pour Mohammed VI, par deux canaux essentiels : l’imposition du visa à certains pays plongés dans des guerres civiles et dans un extrémisme religieux dangereux et exportable. Le Maroc se doit donc de se bien se protéger pour mieux préserver sa sécurité. « Il est regrettable que certains pays de la région connaissent des situations difficiles en raison de l’insécurité et de la prolifération des armes et des groupes extrémistes. Face à cette situation, le Maroc s’est vu dans l’obligation de prendre une série de mesures préventives pour préserver sa sécurité et sa stabilité. Dans ce cadre, le visa a été imposé aux ressortissants de certains pays arabes, notamment ceux de Syrie et de Libye ».
Puis, le roi revient également sur le caractère non négociable du rite sunnite malékite observé au Maroc. Il compatit certes à la situation de certains réfugiés mais à la condition expresse qu’ils respectent les rites et les fondamentaux marocains. Dans le cas contraire, la reconduite à la frontière reste la seule solution.
« Quiconque est reconnu coupable de violation des lois et des règlements marocains, sera reconduit hors des frontières. J’entends par là ceux qui tentent de fomenter le trouble et la zizanie à l’intérieur et à l’extérieur des mosquées et ceux qui s’enrôlent dans des bandes criminelles ou terroristes. Malgré cela, le Maroc restera comme toujours une terre d’accueil pour ses hôtes qui s’y rendent dans la légalité. Le Maroc ne sera jamais une terre d’asile. Avec tout le réalisme possible, Je dis : Nous avons nos priorités internes sur lesquelles nous focalisons nos efforts pour les traiter ». La phrase est forte, elle est rude, mais telle est la contrainte et la condition de la sécurité de la société.
Et maintenant, et après ?
Et donc, comme à son habitude ces dernières années, le roi Mohammed VI a délivré un discours de proximité, franc, au langage direct, avec des mots compréhensibles par tous. Le discours recèle cependant un second degré qui devrait être saisi par les chefs de partis, lesquels doivent s’inscrire dans une approche véritablement politique et non numérique des élections. En évoquant les « slogans creux », et les candidats qui distribuent quelques dirhams, Mohammed VI adresse un avertissement, une menace, à peine voilés. Les deux semaines qui viennent montreront s’il a été compris par les concernés et, dans le cas contraire, si les autorités feront leur travail.
C’est du sérieux de la campagne électorale de 2015 et de la fermeté et la rigueur des organismes chargés de la superviser que dépendra le taux de participation aux législatives de 2016.
Aziz Boucetta